"Le goût des choses" est sorti en septembre sur les écrans romands. Affiche: Ludovic Gerber, ultra:studio
C'est l'histoire d'un coup de cœur, entre un cinéaste et deux maraîchers veveysans. Et voilà qu'on découvre à l'écran, dans un film de 90 minutes intitulé «Le goût des choses», la petite ferme de Praz Bonjour. Niché sur une parcelle agricole entre Vevey et Blonay (VD), ce projet maraîcher inspiré de l'agroécologie et mené par Pierre-Gilles Sthioul et Antoine Meier a été le lieu du tournage pendant un an et demi de ce documentaire actuellement sur les écrans romands.
Une fois par semaine, qu'il pleuve, qu'il neige, que la canicule s'abbatte sur la Riviera, que les récoltes battent leurs pleins ou que le moral des principaux protagonistes soit en berne, le cinéaste Alain Wirth s'est en effet rendu sur les hauts de Vevey, posant sa caméra entre les planches de cultures, suivant les producteurs dans leurs travaux et leurs réflexions, s'intégrant littéralement à la vie de la ferme au fil des saisons.
Praz Bonjour, un modèle de transition
L'artiste veveysan s'est ainsi fait le témoin discret mais néanmoins engagé d'un projet agricole unique en son genre, exemple de durabilité et modèle de transition alimentaire. Par le truchement de sa caméra, il parvient à illustrer la réalité et les choix radicaux de Pierre-Gilles Sthioul et Antoine Meier : un travail uniquement manuel, sans intrant aucun, s'appuyant exclusivement sur des semences non hybrides, et choisissant des circuits de commercialisation ultracourts.
«J'ai été immédiatement touché par l'immensité du travail et la beauté du geste», résume le cinéaste, qui a touné la totalité des images en solo, revendiquant une liberté et une autonomie totales dans sa démarche artisitique.
L'exercice ne fut pas pour autant aisé. «Il fallait que Pierre-Gilles et Antoine acceptent de m'avoir dans leurs pattes au quotidien.» Equipés de micros-cravates, les deux producteurs se sont prêtés au jeu avec une authenticité touchante: on les suit dans les coulisses de leur travail et on découvre les enjeux technico-économiques sous-tendant la production de légumes bio, dont la réalité est selon Alain Wirth trop souvent esthétisée. Problématique de la surproduction estivale, prise de conscience par les clients au magasin de la valeur des choses, empiètement du goudronnage sur le terrain agricole: leur réalité complexe est montrée sans fard ni pathos.
«Faire réfléchir grâce au pouvoir de l'image»
«L'accès à la terre, la question des semences paysannes, le sujet délicat de la transmission de terres sont des sujets sociétaux essentiels», résume Alain Wirth. «Ma responsabilité de cinéaste est de donner à réfléchir grâce au pouvoir de l'image». Et le réalisateur, neuf mois après sa première aux Journées de Soleure, et actuellement en tournée dans toute la Suisse via l'association Ciné-Doc, de revendiquer la dimension politique de son film : «Evoquer l'agroécologie revient à questionner notre rapport à l'alimentation. C'est une forme de résistance au système!»
«Le goût des choses» sera présenté ces prochaines semaines dans plusieurs festivals internationaux, dont Paris et Zürich. De quoi à la fois rendre hommage à ceux qui s'engagent pour la transition alimentaire et sensibiliser le public à ses choix en matière de consommation.
Claire Berbain, FiBL
Pour en savoir plus
https://legoutdeschoses.ch (site web)
https://praz-bonjour.ch/ (site web)
Praz Bonjour
Praz Bonjour est une exploitation de deux hectares et demi, située à Blonay, au dessus de la commune de Vevey. Pierre-Gilles Sthioul et Antoine Meier y cultivent plus de 200 variétés de fruits et légumes, de manière entièrement naturelle en travaillant quasiment exclusivement à la main. Ces deux néo-paysans ont choisi d'abandonner leurs anciennes activités et de mettre les mains dans la terre par idéal. Pierre-Gilles était à la base cuisinier, puis suite à des études universitaires, il a travaillé au sein d'ONG dans le développement durable et dans les rapports nord-sud. Antoine était quand à lui artiste peintre et menait une activité d'entrepreneur dans la rénovation.
Alain Wirth
Né en 1979 à Vevey, Alain Wirth a été enseignant primaire, déménageur, chroniqueur de voyage, chanteur de rue, vendeur, livreur de boisson, guide, barman, avant de se décider à étudier le cinéma à la HEAD. Il focalise actuellement son énergie sur des documentaires engagés qu'il réalise et produit.